JEAN-YVES LENOIR
ÉCRIVAIN ET COMÉDIEN

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Ami lecteur,

Ma très très longue expérience de la poésie et du théâtre m’a permis d’imaginer un livre de recettes qui serait intitulé
«  Pour réussir vos soirées de poésies » !
Voici quatre recettes particulièrement éprouvées qui constituent le début de cet intéressant - et utile - ouvrage.
Je te saurais gré, Ami lecteur, de me faire part en retour d’une – ou plusieurs – recette qui traduira ta propre expérience dans le domaine des spectacles de poésie.
Merci sincèrement.

Jean-Yves Lenoir, courriel : jeanyveslenoir@free.fr

Quatre recettes pour réussir vos soirées de poésie,
écrites à l’attention de vous tous qui aimez la poésie, et savez que la poésie est rarement réservée à un public d’initiés, mais qu’elle est partie constitutive de l’homme et de la femme dès leur naissance, sans distinction de sexe, de race, de religion, ni de condition sociale.

La soirée conviviale :
Honneur au poète. Choisissez-le de préférence vivant. Ceci exclut donc Baudelaire, Chénier, La Fontaine. Installez le poète dans un café, un bistrot, une librairie, où vous avez pris soin de prévoir beaucoup de sièges, si possibles disparates : vieux canapé usagé, fauteuils branlants, coussins, chaises de camping. Le poète est assis au milieu du public. Rien ne distingue d’ailleurs le poète du public, si  ce n’est qu’il parle et que les autres se taisent. Le poète lit quelques-unes de ses œuvres, et les commente. Compter quarante-cinq secondes de lecture, et dix à vingt minutes de commentaires et d’anecdotes pour chaque poème.
Après deux ou trois heures, le public a le droit, et même le devoir, de poser quelques questions brèves. Il est conseillé alors d’élargir le débat, c’est-à-dire de s’éloigner des œuvres elles-mêmes et parler des grands problèmes qui agitent le Monde : l’Islam, le terrorisme, les Droits de l’Homme.
La soirée est très longue, très réussie. A la fin de la soirée chacun est devenu l’ami personnel du poète.
Ce soir, poète, je veux bien coucher avec toi.

Le Cercle :
C’est le Cercle des Poètes d’Auvergne qui organise la soirée de poésie.
La Présidente du Cercle commence par faire l’apologie du Poète (qui peut être mort ou vivant). C’est très long, mais très littéraire et très documenté. Vous, poète, vous fermez les yeux de plaisir : jamais quelqu’un n’a su parler comme la Présidente du chant de vos textes, du choix tellement précis de votre vocabulaire, et des images, des images si poétiques qui émaillent vos textes !
La pianiste garde les yeux ouverts, la comédienne aussi. La première attend ce moment solennel où elle attaquera, raide, sobre, concentrée, une rhapsodie de Liszt, et l’autre répète en boucle intérieure le texte qu’elle devra réciter sans une faute. Quelle mémoire, quelle mémoire tout de même il vous faut, ça ne doit pas être facile !

La soirée interprétation
Prenez un poète mort. Il vaut mieux éviter la présence du poète, qui pourrait  n’être pas en accord avec  l’adaptation qui est faite de ses textes. Car les textes doivent être corrigés, améliorés.
Faites donc appel à une comédienne chevronnée, une artiste ayant de nombreuses années de Conservatoire derrière elle. Du solide ! Elle doit être capable d’aller au  bout d’elle même, de se mettre à nu.
Deux exemples pour cette soirée :
«Le corbeau et le renard».
La comédienne interprétera successivement les deux rôles écrits par La Fontaine. D’abord corbeau, puis renard ; puis corbeau, puis renard ; puis corbeau, puis renard. Elle passe de l’un à l’autre avec l’art d’une jongleuse. La voici sur le tabouret, levant les bras très haut : c’est le corbeau. Et la voilà rampant, le nez chafouin, c’est le renard. Et tout à coup, ce disque de carton blanc, qu’elle fait sortir de son corsage, c’est un Saint-Nectaire. Les petits applaudissent.
«Baudelaire et les femmes fatales».
C’est difficile et beau. L’éclairage tamisé, la musique de fond où grattent des violons plaintifs, sont essentiels à la réussite de cette soirée. La comédienne apparaît dans une robe très couture, très près du corps. Elle entreprend une caresse lascive, accompagnée de grandes respirations qui évoquent forcément l’acte sexuel. D’ailleurs, elle découvre peu à peu son sein droit, elle ne porte pas de soutien-gorge, et le sein s’extrait maintenant complètement de la robe.
Personnellement, et ceci n’engage que moi, c’est le genre de soirées que je préfère. Quelle audace, cette comédienne ! Qui est le metteur en scène ? Le connaissez-vous ? Est-il l’amant de la comédienne, ou bien est-elle libre ?

La soirée évocation.
N’entreprenez de donner une telle soirée - réservée aux vrais amateurs de poésie - que si vous êtes absolument sûr de votre public : un public cultivé, éclairé, bref : littéraire.
La règle du jeu est de reconstituer l’univers d’un grand poète disparu, disons Lamartine pour fixer les idées.
Rien ne doit être omis : ni le bureau du maître, de style Empire, ni ses manuscrits raturés (Lamartine travaillait beaucoup ses textes), ni sa bibliothèque aux riches reliures de cuir, des cadres représentant ses maîtresses (un poète a toujours des maîtresses), ni surtout ce grand fauteuil tapissé où il aimait tant se reposer après chacune de ses longues marches dans la campagne de Saint-Point, qui a tant contribué à son univers poétique.
Le comédien apparaît en Lamartine : costume d’époque - évidemment - , et perruque empesée. Il est, il est vraiment Lamartine, et de mémoire nous dit les textes du grand poète. Quelle heure est-il ? Les projecteurs semblent marquer la fin de la journée, quand le soleil laisse place à la clarté blafarde de la lune. Quelle est la saison ? Triste. Oui, si triste. Voici le cabinet de travail de Lamartine :

Console-toi ! tu vis partout,
Vieux sanctuaire du génie,
Qui prolonge son harmonie,
Comme la cloche après le coup.

Quelle leçon d’histoire ! Et de poésie ! 

En relisant ces quatre recettes, je m’aperçois que d’aucuns pourraient penser que je les ai accompagnées d’une pointe d’ironie. Non, grands dieux non ! je souhaite seulement contribuer à ce que disparaissent ces soirées ennuyeuses, où de prétendus comédiens viennent lire des poèmes - je dis bien lire - avec comme seul dessein : nous faire entendre le texte tel qu’il a été écrit par l’auteur. Sans ajout, sans interprétation personnelle, bref sans surcharge.
Comme si le comédien n’était qu’un simple transmetteur entre le poète et l’auditeur.

Comme si la lecture était un art.